Avec le développement du commerce électronique, les frontières nationales paraissent sans importance. Pourtant, lorsque naît un litige à propos d’un produit ou d’un service commandé par l’Internet, la question de savoir quel juge national sera compétent pour toiser le litige se posera bien vite.
Les règles communes en la matière prévoient que les actions qui visent des personnes domiciliées dans un autre Etat membre doivent, en règle générale, être menées devant les juridictions de cet Etat1. Si les relations entre parties sont contractuelles, les tribunaux du lieu où l’obligation contractuelle a été ou devait être exécutée sont également compétents2.
Lorsque l’acheteur est un consommateur, des règles de protection particulières trouvent application. Le consommateur qui a trait avec un commerçant étranger pourra en effet, par exception, saisir les tribunaux de son propre pays si le commerçant «exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités»3.
La publication d’un site internet accessible par les consommateurs d’un Etat membre donné représentante-t-elle une telle «activité dirigée vers cet Etat membre»?
La Cour de Justice de l’Union européenne a été saisie de cette question dans deux affaires qui peuvent être résumés comme ceci:
Affaire C-585/08
M. Pammer, domicilié en Autriche, a voulu voyager à bord d’un bateau cargo de Trieste (Italie) à destination de l’Extrême-Orient. Il a donc réservé un voyage auprès de la société allemande Reederei Karl Schlüter par l’intermédiaire d’une agence de voyage allemande spécialisée dans la vente sur Internet de voyages en cargo. M. Pammer a refusé d’embarquer au motif que les conditions offertes sur le bateau ne correspondaient pas, selon lui, à la description qu’il avait reçue de l’agence et il a demandé le remboursement du prix qu’il avait acquitté pour ce voyage. Reederei Karl Schlüter n’ayant remboursé qu’une partie de ce prix, M. Pammer avait saisi les juridictions autrichiennes devant lesquelles la société allemande a soulevé une exception d’incompétence au motif qu’elle n’exerce aucune activité professionnelle ou commerciale en Autriche.
Affaire C-144/09
M. Heller, résidant en Allemagne, a réservé plusieurs chambres, pour une durée d’une semaine, dans l’Hotel Alpenhof, un hôtel situé en Autriche. Cette réservation a été effectuée par courrier électronique grâce à une adresse indiquée sur le site Internet de l’hôtel que M. Heller avait consulté. M. Heller a mis en cause les services de l’hôtel et a quitté les lieux sans avoir réglé sa facture. L’hôtel a alors introduit une action devant les juridictions autrichiennes pour obtenir le paiement de la facture. M. Heller a soulevé une exception d’incompétence en estimant que, en sa qualité de consommateur résidant en Allemagne, il ne peut être assigné que devant les juridictions allemandes4 .
Dans les deux affaires, la question de savoir si le fait qu’un commerçant utilise un site Internet pour communiquer avec les consommateurs déclenche l’application de l’exception de l’article 15.
Pour la Cour:
Les modes de publicité classiques (…) impliquent l’engagement de dépenses parfois importantes de la part du commerçant pour se faire connaître dans d’autres États membres et démontrent, de ce fait même, une volonté du commerçant de diriger son activité vers ces derniers.
Cette volonté n’est, en revanche, pas toujours présente dans le cas de la publicité au moyen d’Internet. Ce mode de communication ayant par nature une portée mondiale, une publicité faite sur un site Internet par un commerçant est en principe accessible dans tous les États et, par conséquent, dans l’ensemble de l’Union européenne sans qu’il soit nécessaire d’exposer des dépenses supplémentaires et indépendamment de la volonté du commerçant de cibler ou non des consommateurs au-delà du territoire de l’État membre dans lequel il est établi.
La Cour répond donc à la question préjudicielle posée:
Email This PostAfin de déterminer si un commerçant, dont l’activité est présentée sur son site Internet ou sur celui d’un intermédiaire, peut être considéré comme «dirigeant» son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, il convient de vérifier si, avant la conclusion éventuelle d’un contrat avec le consommateur, il ressort de ces sites Internet et de l’activité globale du commerçant que ce dernier envisageait de commercer avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs États membres, dont celui dans lequel ce consommateur a son domicile, en ce sens qu’il était disposé à conclure un contrat avec eux.
Les éléments suivants, dont la liste n’est pas exhaustive, sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l’activité du commerçant est dirigée vers l’État membre du domicile du consommateur, à savoir la nature internationale de l’activité, la mention d’itinéraires à partir d’autres États membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication d’un préfixe international, l’engagement de dépenses dans un service de référencement sur Internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d’autres États membres l’accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi et la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres. Il appartient au juge national de vérifier l’existence de tels indices.
En revanche, la simple accessibilité du site Internet du commerçant ou de celui de l’intermédiaire dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante. Il en va de même de la mention d’une adresse électronique ainsi que d’autres coordonnées ou de l’emploi d’une langue ou d’une monnaie qui sont la langue et/ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel le commerçant est établi5.
(Photo: Cour de Justice de l’Union européenne)