Le droit européen connaît depuis plus de vingt ans une procédure qui permet à un avocat admis dans un Etat membre de demander, sous certaines conditions, la reconnaissance de ses qualifications dans un autre Etat membre et l’établissement dans cet Etat membre de destination comme avocat. Cette procédure est connue au Luxembourg sous le sobriquet d’Areler Wee, ou «Chemin d’Arlon», parce que, semble-t-il, les premiers à en faire usage dans les années mille neuf cent quatre-vingt dix étaient des confrères établis dans la capitale de la Province belge du Luxembourg.

Il s’agit d’une procédure qui est organisée, au Luxembourg, par une loi modifiée du 10 août 1991 déterminant, pour la profession d’avocat, du système général de reconnaissance des qualifications professionnelles. Elle fait intervenir le ministère de la Justice et une commission consultative appelée à émettre un avis.

L’avocat étranger qui souhaite suivre cette voie doit documenter la formation dont il dispose moyennant la production de diplômes, certificats ou titres délivrés par les autorités d’un Etat membre.

Le récent arrêt Koller de la Cour de Justice de l’Union européenne du 22 décembre 2010, aff. C‑118/09 apporte un éclairage intéressant sur cette exigence.

Les faits

M. Koller, un ressortissant autrichien, a obtenu en 2002 de l’université de Graz (Autriche) le grade de «Magister der Rechtswissenschaften». En 2004, le ministère de l’Éducation et de la Science espagnol a reconnu l’équivalence du titre de «Magister der Rechtswissenschaften» avec celui de «Licenciado en Derecho», dans la mesure où le demandeur avait suivi des cours à l’université de Madrid (Espagne) et avait réussi des examens complémentaires conformément à la procédure d’homologation prévue par le droit interne espagnol. Le 14 mars 2005, l’ordre des avocats du barreau de Madrid a autorisé M. Koller à porter le titre d’«abogado» après avoir constaté qu’il détenait le titre de «Licenciado en Derecho».

Dès le 5 avril 2005, M. Koller saisit la Rechtsanwaltsprüfungskommission près l’Oberlandesgericht Graz d’une demande de pouvoir présenter l’épreuve d’aptitude à la profession d’avocat. Dans le même temps, demandait à être dispensé de toutes les épreuves d’aptitude, ce qui n’était pas incohérent puisque son diplôme était initialement un diplôme autrichien.

Cette demande d’admission est rejetée dans un premier temps par le président de ladite Rechtsanwaltsprüfungskommission, puis en appel par la Oberste Berufungs- und Disziplinarkommission. Le motif du refus est que, dans la mesure où il n’est pas nécessaire d’effectuer un stage pratique pour exercer la profession d’avocat en Espagne, M. Koller pourrait ainsi contourner l’obligation de stage pratique de cinq ans exigée par la réglementation autrichienne.

Cette décision est annulée le Verfassungsgerichtshof autrichien en raison, notamment, de  l’absence d’éléments indiquant un abus de la part du demandeur.

Saisie à nouveau du dossier, la Oberste Berufungs- und Disziplinarkommission saisit la Cour de Justice de l’Union européenne de plusieurs questions:

1) La directive 89/48 […] doit-elle être appliquée dans la situation d’un ressortissant autrichien, lorsque celui-ci

a) a terminé avec succès en Autriche un cycle universitaire en droit et s’est vu décerner par une décision à cet effet le grade académique de ‘Magister der Rechtswissenschaften’,

b) a par la suite été autorisé, par un acte de reconnaissance du ministère de l’Éducation et de la Science [espagnol], après avoir passé des examens complémentaires dans une université espagnole, qui ont toutefois impliqué une durée de formation inférieure à trois ans, à porter le titre espagnol – équivalent du titre autrichien – de ‘Licenciado en Derecho’, et

c) a obtenu, en se faisant inscrire auprès de l’ordre des avocats du barreau de Madrid, l’autorisation d’utiliser le titre professionnel d’‘abogado’ et a effectivement exercé la profession d’avocat en Espagne, et ce avant la présentation de la demande, pendant trois semaines, et, par rapport à la date de la décision de première instance, pendant cinq mois tout au plus.

2) En cas de réponse affirmative à la première question:

L’interprétation de l’article 24 de l’EuRAG en ce sens que l’obtention d’un diplôme autrichien en droit ainsi que l’autorisation de porter le titre espagnol de ‘Licenciado en Derecho’, obtenue après avoir passé, sur une période de moins de trois ans, des examens complémentaires dans une université espagnole, ne suffisent pas pour être autorisé à se présenter à l’épreuve d’aptitude en Autriche, en application de l’article 24, paragraphe 1, de l’EuRAG, en l’absence de preuve de l’expérience pratique exigée par le droit national (article 2, paragraphe 2, de la RAO), même si le demandeur, en Espagne, est autorisé à exercer en tant qu’‘abogado’, sans exigence comparable d’expérience pratique, et y a exercé cette professin, avant la présentation de la demande, pendant trois semaines, et, par rapport à la date de la décision de première instance, pendant cinq mois tout au plus, est-elle compatible avec la directive 89/48 […]?

L’arrêt

La première question visait à déterminer si le titre délivré en Espagne représentait un diplôme au sens de la directive 89/48.

Dans son arrêt, la Cour commence par rappeler que «la notion de «diplôme», telle que définie à l’article 1er, sous a), de la directive 89/48 modifiée, constitue la clef de voûte du système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur prévu par cette directive (voir, notamment, arrêt du 23 octobre 2008, Commission/Espagne, C-286/06/06, Rec. p. I‑8025, point 53)». En effet, relève la Cour, «l’article 3, premier alinéa, sous a), de cette dernière donne à tout demandeur qui est titulaire d’un «diplôme» au sens de cette directive, lui permettant d’exercer une profession réglementée dans un État membre, le droit d’exercer la même profession dans tout autre État membre (voir arrêt Commission/Espagne, précité, point 54)».

La Cour avait retenu, dans une affaire jugée en 2009, que la simple homologation d’un diplôme dans un Etat membre n’était pas à assimiler à la délivrance d’un diplôme par cet Etat membre. En effet, «accepter, dans le cas où l’homologation obtenue dans un autre État membre ne porte témoignage d’aucune qualification supplémentaire et où ni cette homologation ni l’inscription au tableau d’un ordre professionnel de cet autre État membre n’ont été fondées sur une vérification des qualifications ou des expériences professionnelles acquises par un demandeur, que la directive 89/48 puisse être invoquée afin de bénéficier d’un accès à une profession réglementée dans l’État d’origine aboutirait à permettre à une personne n’ayant obtenu qu’un titre délivré par ce dernier État membre, qui, en soi, ne donne pas accès à ladite profession réglementée, d’accéder néanmoins à cette dernière, sans que le titre d’homologation obtenu dans l’autre État membre témoigne toutefois de l’acquisition d’une qualification supplémentaire ou d’une expérience professionnelle. Un tel résultat serait contraire au principe consacré par la directive 89/48 et énoncé au cinquième considérant de cette dernière, selon lequel les États membres conservent la faculté de fixer le niveau minimal de qualification nécessaire dans le but de garantir la qualité des prestations fournies sur leur territoire» (C.J.C.E., 29 janvier 2009, Consiglio nazionale degli Ingegneri, aff. C-311/06).

Mais dans le cas concret de M. Koller, la Cour voit une différence, car l’acte de reconnaissance n’a été délivré qu’après la réussite, par le candidat, d’examens complémentaires. Elle estime dès lors que «le titre espagnol dont se prévaut M. Koller atteste de l’acquisition par ce dernier d’une qualification supplémentaire par rapport à celle obtenue en Autriche». La Cour considère donc qu’ «une personne telle que M. Koller est bien titulaire d’un «diplôme» au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/48 modifiée».

La réponse à la première question se lit donc comme suit:

En vue d’accéder, sous réserve de subir avec succès une épreuve d’aptitude, à la profession réglementée d’avocat dans l’État membre d’accueil, les dispositions de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, telle que modifiée par la directive 2001/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2001, peuvent être invoquées par le titulaire d’un titre délivré dans cet État membre et sanctionnant un cycle d’études postsecondaires de plus de trois ans, ainsi que d’un titre équivalent délivré dans un autre État membre après une formation complémentaire de moins de trois ans et l’habilitant à accéder, dans ce dernier État, à la profession réglementée d’avocat qu’il exerçait effectivement dans celui-ci à la date à laquelle il a demandé à être autorisé à présenter l’épreuve d’aptitude.

Restait la deuxième question, par laquelle Oberste Berufungs- und Disziplinarkommission cherchait à savoir si l’admission à l’épreuve d’aptitude à la profession d’avocat pouvait être refusé en l’absence de preuve de l’accomplissement du stage pratique exigé par la réglementation autrichienne.

La réponse de la Cour est négative. Elle considère que l’épreuve d’aptitude prévue par la directive a précisément pour objet de permettre de s’assurer que l’avocat qui demande la reconnaissance de ses diplômes est apte à exercer la profession réglementée dans l’État membre d’accueil. Dès lors, cet Etat membre ne saurait, refuser à une personne se trouvant dans une situation telle que celle du requérant au principal l’autorisation de présenter une telle épreuve au motif qu’il n’a pas accompli le stage pratique exigé par la réglementation de cet État membre.

La directive 89/48, telle que modifiée par la directive 2001/19, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre d’accueil refusent à une personne se trouvant dans une situation telle que celle du requérant au principal l’autorisation de présenter l’épreuve d’aptitude à la profession d’avocat en l’absence de preuve de l’accomplissement du stage pratique exigé par la réglementation de cet État membre.

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Marc THEWES

Marc THEWES est associé au sein du cabinet THEWES & REUTER, avocats à la Cour. Le présent article a également été publié sur le Blog de l’étude. Il a récemment publié un ouvrage sur «La profession d’avocat au Grand-Duché de Luxembourg», éd. Larcier, Bruxelles, 2010.

La profession d'avocat

Marc Thewes, La profession d'avocat au Grand-Duché de Luxembourg

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