Un arrêt de la CJUE du 22 décembre 2010 est venu rappeler récemment certains principes en matière d’attributions de marchés à des entités mixtes dans lesquelles le pouvoir adjudicateur est associé avec une entreprise privée.

La saisine de la Cour fait suite à l’attribution unilatérale et sans mise en concurrence d’un marché de services concernant la préservation de la santé des travailleurs par la Ville d’Oulu (Finlande) à une entité privée qu’elle a préalablement créée en partenariat avec une société privée.

La Ville d’Oulu s’est seulement engagée, à travers une délibération du conseil municipal, à soumettre l’attribution de ces services à une procédure de marché public à l’issue d’une période transitoire de quatre années.

Des concurrents s’estimant lésés par cette attribution de gré à gré ont déposé un recours devant les juges finlandais, ces derniers ont décidé de surseoir à statuer afin de demander à la CJUE quel devait être la qualification juridique de l’opération, et, par conséquent, si les principes et les règles relatives aux procédures de marchés publics devaient s’appliquer ou non.

Les réponses de la Cour aux questions préjudicielles peuvent être résumées ainsi:

  • L’exception de contrat « in-house » posée par la jurisprudence Teckal (arrêt du 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, Rec. p. I‑8121, point 50), permettant de se dispenser des formalités afférentes aux procédures de marchés publics, ne s’applique que dans le cadre où le pouvoir adjudicateur possède un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, dès lors que cette entité distincte réalise l’essentiel de son activité avec ce pouvoir adjudicateur.
  • L’accord passé par la ville d’Oulu combinant la participation à la création d’une entreprise commune et la fourniture de services de santé à ses employés communaux en tant qu’apport en nature ne saurait conférer - de facto - à cette fourniture un caractère indissociable. Ainsi la jurisprudence Hotel Club Loutraki (CJUE, 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki AE, aff. Jointes C‑145/08 et C‑149/08), où il a été jugé que la conclusion d’un « contrat mixte dont l’objet principal est l’acquisition par [cette] entreprise de 49 % du capital d’une entreprise publique et dont l’objet accessoire, indissociablement lié à cet objet principal, porte sur la fourniture de services et l’exécution de travaux ne relève pas, dans son ensemble, du champ d’application des directives en matière de marchés publics », ne saurait trouver application ici.
  • Une procédure de marché transparente et respectueuse des règles de la concurrence aurait donc dû être envisagée.

32. En outre, l’application du droit de l’Union en matière de marchés publics est, certes, exclue, si, tout à la fois, le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur l’entité adjudicataire est analogue à celui que ledit pouvoir exerce sur ses propres services et si cette entité réalise l’essentiel de son activité avec le pouvoir qui la détient (voir arrêt Teckal, précité, point 50). Toutefois, la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également un pouvoir adjudicateur exclut que ce dernier puisse exercer sur cette entreprise un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services (voir, notamment, arrêts du 10 septembre 2009, Sea, C‑573/07, Rec. p. I‑8127, point 46, et du 15 octobre 2009, Acoset, C-196/08, Rec. p. I‑9913, point 53).

(…)

38. À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, s’agissant d’un contrat mixte dont les différents volets sont liés d’une manière inséparable et forment ainsi un tout indivisible, ce contrat doit être examiné dans son ensemble de manière unitaire aux fins de sa qualification juridique au regard des règles en matière de marchés publics, et doit être apprécié sur la base des règles qui régissent le volet qui constitue l’objet principal ou l’élément prépondérant du contrat (arrêt du 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a., C‑145/08 et C‑149/08, non encore publié au Recueil, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée).

(…)

40. En ce qui concerne l’argument de l’Oulun kaupunki suivant lequel la situation des employés municipaux transférés à l’entreprise commune serait garantie par suite de l’engagement pris, il convient de relever qu’une telle garantie aurait pu être également assurée dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché conforme aux principes de non‑discrimination et de transparence, dans laquelle l’exigence relative à cette garantie aurait fait partie des conditions à respecter en vue de l’octroi de ce marché.

41. Quant aux arguments de l’Oulun kaupunki consistant à soutenir que «le contrat actuel sera avantageux et concurrentiel» et que, par ledit engagement, «l’entreprise commune débutera ses activités dans des conditions favorables», il importe de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’attribution d’un marché public à une entreprise d’économie mixte sans mise en concurrence porterait atteinte à l’objectif de concurrence libre et non faussée et au principe d’égalité de traitement, dans la mesure où une telle procédure offrirait à une entreprise privée présente dans le capital de cette entreprise un avantage par rapport à ses concurrents (arrêt Acoset, précité, point 56 et jurisprudence citée). De tels arguments ne permettent pas de conclure que le volet constitué par les services de santé au bénéfice des employés de l’Oulun kaupunki est indissociable du reste du contrat.

(…)

45. Par conséquent, à la différence des circonstances qui ont donné lieu à l’arrêt Loutraki e.a., précité, les constatations susvisées ne traduisent pas, objectivement, la nécessité de conclure le contrat mixte en cause au principal avec un partenaire unique (voir, en ce sens, arrêt Loutraki e.a., précité, point 53).

46. Le volet du contrat mixte consistant en l’engagement de l’Oulun kaupunki d’acquérir auprès de l’entreprise commune les services de santé destinés à ses employés étant, dès lors, détachable de ce contrat, il s’ensuit que, dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, les dispositions pertinentes de la directive 2004/18 sont applicables à l’attribution de ce volet.

47. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 2004/18 doit être interprétée en ce sens que, lorsqu’un pouvoir adjudicateur conclut avec une société privée indépendante de lui un contrat prévoyant la création d’une entreprise commune, prenant la forme d’une société anonyme, dont l’objet est la fourniture de services de santé et de bien‑être au travail, l’attribution par ledit pouvoir adjudicateur du marché afférent aux services destinés à ses propres employés, dont la valeur dépasse le seuil prévu par cette directive, et qui est détachable du contrat constituant cette société, doit se faire dans le respect des dispositions de ladite directive applicables aux services relevant de l’annexe II B de celle-ci.

48. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, doit être interprétée en ce sens que, lorsqu’un pouvoir adjudicateur conclut avec une société privée indépendante de lui un contrat prévoyant la création d’une entreprise commune, prenant la forme d’une société anonyme, dont l’objet est la fourniture de services de santé et de bien‑être au travail, l’attribution par ledit pouvoir adjudicateur du marché afférent aux services destinés à ses propres employés, dont la valeur dépasse le seuil prévu par cette directive, et qui est détachable du contrat constituant cette société, doit se faire dans le respect des dispositions de ladite directive applicables aux services relevant de l’annexe II B de celle-ci.

(retrouvez l’arrêt de la Cour en cliquant ICI aff. C-215.09)

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Photo Credit: Cour de Justice de l’Union européenne

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